Après ses études de sylviculture, le parcours de Mathieu Verlaine s’affine et se mûri au gré de ses années d’expérience. Il commence à travailler comme forestier à la Faculté de Gembloux mais décide après quelque temps de se mettre à son compte pour travailler comme exploitant forestier, ensuite botteur, puis élagueur spécialisé dans le démontage des gros arbres, se rajoute le métier de scieur et de constructeur de maisons fustes en bois brut ajusté. La ligne de conduite de Mathieu est claire: revenir en quelque sorte aux sources, avec éthique, et valoriser au mieux les bois produits localement dans nos forêts. Nous sommes partis à sa rencontre par une matinée ensoleillée.
Mathieu Verlaine se lance comme exploitant forestier en 2002. Mais son envie de pousser les limites du savoir-faire et d’aller là où les autres ne vont pas, mène son activité d’indépendant à se spécialiser tout d’abord dans le bottage en forêt des gros bois de valeur (couper les têtes des arbres avant l’abattage pour préserver la grume intacte) et ensuite dans l’élagage en 2005. Il poursuit: ‘comme j’ai toujours été un passionné d’alpinisme et d’escalade, j’ai directement voulu aller un peu plus loin dans la technique, et en me spécialisant donc dans l’abattage des gros arbres dangereux pour le compte de particuliers, d’administrations publiques, d’entrepreneurs de jardin ou encore pour d’autres entreprises d’élagage. Dès le début de ma carrière, j’ai voulu garder un sens à ce que je faisais. L’élagage en faisait bien entendu partie et pendant une quinzaine d’années, j’ai été un des entrepreneurs les plus techniques dans ce domaine en Belgique. Petit à petit j’ai ensuite réfléchi à des débouchés de valorisation du bois qui était coupé au cours de cette activité professionnelle. C’est ainsi qu’après m’être longuement renseigné et intéressé à différentes possibilités, j’ai décidé d’acheter une petite scierie mobile Serra Montana MD90.’
Après avoir travaillé avec ce premier modèle de scierie mobile, Mathieu Verlaine décide ensuite d’investir dans un modèle de grosse capacité en 2017. Il poursuit: ‘cette scierie mobile de marque Wimmer permet de scier des grumes d’une longueur maximale de 14 mètres et d’un diamètre allant jusqu’à 140 centimètres. C’est la seule machine de ce type en. Je me déplace un peu partout en Belgique et dans le Nord de la France, à condition toutefois qu’il y ait au moins 20 mètres cube de bois à valoriser. La scierie mobile est tractée par un Unimog, et grâce à mon groupe électrogène, nous sommes entièrement autonomes. Je facture mes prestations par mètre cube de grumes sciées, car je trouve que c’est la solution la plus avantageuse pour le client et donc la plus honnête. Sur le chantier, je me concentre sur le rendement et le bon fonctionnement de la scierie. La main d’œuvre nécessaire sur place est donc fournie par le client.’
La scierie mobile sort principalement en période hivernale, de même qu’à la fin de l’été. ‘En dehors de ces périodes de travail à l’extérieur et du volume minimum requit, les clients peuvent se déplacer chez moi pour faire scier à façon une ou plusieurs grumes qu’ils m’apportent. Ces déplacements chez les clients sont toujours de chouettes moments de partage et se soldent souvent par de belles rencontres. En ce qui concerne les bois valorisés, cela va du petit bois de résineux au gros bois de feuillus. De même, je travaille tant pour des particuliers, fermiers, propriétaires forestiers voulant redynamiser une filière locale pour la valorisation de leurs petits lots, de petits indépendants, comme des ébénistes, charpentiers ou élagueurs que pour des scieries classiques qui se sont spécialisées dans des catégories de bois plus petit que ce que je peux faire. Cette diversité de débouchés rend mon travail encore plus valorisant.’
Pour Mathieu, l’investissement dans cette scierie mobile lui a également permis de donner davantage de sens à son travail. Il poursuit: ‘je suis passionné par la forêt et je trouve dommage que cette dernière est sous- valorisée localement pour un tel potentiel de bois de qualité. Souvent en effet, il n’y a pas de liens entre le gestionnaire forestier, l’exploitant, scieur et le travailleur du bois, et dans ce cadre, il est intéressant de bénéficier d’une vision globale de la filière. Je trouvais par ailleurs également important de revenir à un savoir-faire qui se perd. A l’heure actuelle, de grandes quantités de bois sont exportées, avant de revenir chez nous sous forme de produit fini comme des meubles par exemple. Même en charpente on utilise que du bois du nord importé! Cela a donc beaucoup de sens de proposer un tel service de sciage car nous avons une forêt d’une merveilleuse qualité exportée dans sa quasi-totalité que nous devons nous réapproprier afin de l’utiliser et d’y retrouver le savoir-faire qui va avec. C’est ma façon de voir l’écologie, la gestion durable et la préservation d’une économie locale, artisanale de qualité.
Afin de pouvoir satisfaire tous mes clients, je me suis équipé d’un tracteur Valtra T175 et d’une grosse remorque forestière avec une grue Epsilon de 10m pour valoriser mes petits lots de gros bois ainsi que de pouvoir ramener sur notre site de sciage jusqu’à 15 à 20 m3 par chargement de troncs que mes clients veulent valoriser et faire sortir de leur bois.
En 2018, et après s’être formé, en plus de ces activités, durant 6 ans dans des entreprises en France, Mathieu Verlaine décide de prendre un nouveau tournant professionnel, en poussant plus loin encore la valorisation du bois local. Il se lance dans les constructions de maisons en bois brut ajusté. Mathieu: ‘ces constructions qu’on appelle des fustes sont réalisées à l’aide de troncs d’arbres (fûts-fuste) brut dont on a enlevé uniquement l’écorce et que l’on ajuste les uns aux autres. Le bois brut, mis en œuvre dans une construction restera arbre plus que matériau. Cela peut sembler simple à première vue, mais cela nécessite cependant un haut niveau de compétences, de même que la maîtrise parfaite d’un ensemble de technique précises et complexes. Petit à petit, l’industrialisation a supprimé le savoir-faire pour en faciliter la mise en œuvre et la réduire à du simple placement d’assemblage de matériaux. Ici, il en est tout autre. Je veux montrer qu’il est possible de faire autrement. Après la construction d’une première maison-témoin en 2018 de 150m2, j’ai ensuite construit une grosse cabane dont la deuxième est en cours de construction et je planche à présent sur le projet d’une maison de 150 mètres carrés. Pour ces constructions, je m’arrête à la charpente ou avec le toit en proposant une toiture de type ‘prairie’. Cette toiture lourde apporte beaucoup de confort et de caractère. La recherche d’harmonie de la construction en troncs d’arbres et de son toit-prairie, qui se fondent dans leur environnement, est pour moi un ensemble qui est inhérent au milieu dans lequel il est issu, un aboutissement de ce que je voulais arriver à faire. La fuste est le point de rencontre entre la force de la nature et l’art de l’homme, elle n’est pas une architecture mais une technique au service de l’architecture ,même contemporaine. Elle peut alors devenir un art.
Les fustes sont des maisons de grande qualité et d’un grand confort, reconnues et recherchées par un public exigeant, soucieux de vivre de façon saine. Ces maisons stockent en quantité impressionnante le carbone que les arbres ont capté pendant, selon leur âge, 80 années de leur vie.
Les troncs d’arbres constituent le fond de nos paysages, le rondin brut est certainement un matériau qui, par sa texture, ses nuances naturelles, ses irrégularités même, peut engager un “dialogue” plus harmonieux avec par exemple la pierre.
Mais si, en termes d’urbanisme, ces constructions ne peuvent, et cela va de soi, être installées n’importe où, c’est une solution innovante en Région Wallonne qui allie, esthétique, simplicité, écologie et qui permet un certain « retour aux sources » tout en garantissant confort, chaleur et une certaine modernité.
Pour les arbres que j’utilise, je vais les rechercher dans nos forêts. Je recours essentiellement à de gros mélèzes. Je les exploite moi-même à une période bien déterminée, on les écorce en équipe avant de les faire sécher quelque temps et de les travailler ensuite pour y monter tour après tour les murs selon les plans des futures maisons que l’architecte me demande. Je construis les maisons ou les cabanes entièrement sur mon chantier aidé de mes deux grues à tour, avant de les redémonter pour les transporter vers leur emplacement définitif chez le client.
A l’heure actuelle, Mathieu consacre la moitié de son temps au sciage, tandis que les activités d’élagage et de construction représentent chacune 25% de sontemps. ‘A l’avenir, je veux développer davantage l’activité de construction, d’une part parce que la demande est fortement présente, mais également parce que cela me permet de donner le plus de sens à ce que je fais. C’est en quelque sorte l’aboutissement de mon cheminement professionnel. Comme je travaille seul, il n’est pas toujours évident de tout mener à bien, et je dois donc refuser de nombreuses demandes. L’idéal serait de trouver quelqu’un de motivé et qui dispose d’un certain nombre de connaissances afin de me seconder et de réduire les délais d’attente, qui sont parfois fort longs. Jusqu’à présent, je n’ai cependant pas encore trouvé cette perle rare. Je dis toujours qu’il faut un peu de folie pour faire bouger les lignes, mais cette folie est rassurante à partir du moment où elle a un sens. De même, et en tant qu’indépendant, mon but est de pouvoir vivre correctement de mon boulot. Je ne cherche pas à engranger un maximum de bénéfices, je cherche à faire, de mon point de vue, du beau et du bon tout en soulageant mon travail par de l’équipement adapté qu’il faut juste payer chaque mois.
C’est un drame pour les générations futures que cette forêt et ses beaux arbres de qualité partent à l’étranger. Mon but est de démontrer, ou en tout cas de remontrer, qu’avec du bon bois et de belles forêts, on fait, chez nous, de belles choses.